dimanche 13 décembre 2015

Déni de responsabilité d'Edmond Michelet :
On ne retient que l'actif, rien du passif, fut-il écrasant.

Voici la transcription de l'exposé fait par Nicole Lemaitre sur le thème "Peut-on conjuguer éthique et politique" au titre de l'Académie catholique de France et diffusé sur la chaîne de télévision KTO par trois fois en ce début de décembre 2015. 


Académie catholique de France  
7 décembre 2015

Peut-on conjuguer éthique et politique ?

Nicole Lemaitre

Sans doute, car des dossiers attendent à Rome la béatification de plusieurs acteurs du XXe siècle, Robert Schuman, Alcide de Gasperi, Edmond Michelet. Sont-ils des modèles ? Pour répondre, il faut comprendre d'où vient leur engagement. Nous suivons ici l'itinéraire d'Edmond Michelet pour lequel la documentation disponible révèle les principes et les ressorts de l'action. Avec les jeunes de l'Action Catholique de la Jeunesse Française, selon sa devise Piété, Etude, Action, Michelet fut d'abord en 1921 un patriote admirateur de Péguy, son prophète, lancé dans l'action éducative et sociale. Dans la crise de l'Action Française, en 1927, il suit le Maritain de Primauté du Spirituel qui devient "son docteur".
Il a fallu la montée des totalitarismes, l'expérience de la Résistance et de la Déportation pour qu'il entre en politique. Quatre axes permettent, dès les années 1930, de mesurer son engagement.
L'accueil des réfugiés espagnols à Brive initie son combat contre les idéologies. Lecteur de L'Aube, de Sept, puis de Temps Présent, il déplore en famille l'écrasement des républicains.


En 1934, il lit Mein Kampf en français et estime que la religion du sang menace notre civilisation. Il accueille les opposants allemands puis les expulsés juifs. Il combat les positions de La Croix de la Corrèze qui incite les jeunes à s'engager dans les ligues anti-démocratiques.
Sur le plan pratique, il trouve aux réfugiés des emplois, puis des abris, enfin des réseaux d'émigration.
En juin 1937, il crée le cercle Duguet pour diffuser la connaissance de la doctrine sociale de l'Eglise.
Là, dans l'été 1938, il dénonce les accords de Munich : abandonner Prague au désir d'hégémonie de M. Hitler équivaut à lui accorder Strasbourg, demain, et Périgueux, après-demain. Le second congrès des Amis de L'Aube fait naître les Nouvelles Equipes Françaises, en novembre 1938, pour refonder, en France, une démocratie efficace face au péril fasciste. La Résistance utilise rapidement ces chrétiens informés et convaincus. Dès le 17 juin 1940, le groupe de Brive refuse l'armistice. C'est L'Argent, de Péguy, qui sert à rédiger le premier tract distribué sur Brive :"Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend".  Père de sept enfants, Michelet regarde vers l'Angleterre qu'il ne peut rejoindre. Dirigeant du Secours National de Brive et du groupement pétainiste des épiciers, il pensait être à l'abri. Il diffuse des journaux, mène des actions, rejoint Combat comme chef de la Région V sous le nom de Duval. Il accueille chez lui des résistants comme le père Maydieu, Henri Frenay, Berthie Albrecht, Pierre Brossolette. Dénoncé sans être démasqué, il est arrêté le 29 juin 1943[1], mis au secret à Fresnes, puis déporté. L'essentiel est raconté, dès 1955, dans un témoignage magnifique d'humanité et de sérénité, Rue de la Liberté. A Dachau, il fait partie du comité de libération du camp. Il représente les Français face aux Américains. C'est là qu'il apprend la diplomatie internationale. Là aussi qu'il tente de défendre tout homme parce qu'il est homme, qu'il soit français, espagnol ou polonais, communiste ou volontaire de la Légion SS Charlemagne. Désigné pour siéger à l'Assemblée constituante le 18 juillet 1945, il est élu député de la Corrèze[2] puis nommé ministre des Armées parce qu'il a su travailler avec les communistes et les militaires à Dachau.
En 1951[3], il choisit de Gaulle contre les démocrates-chrétiens conformistes et reprend son métier de courtier en épicerie. Élu sénateur de la Seine en 1953[4], il ne quittera plus la scène politique. Il est envoyé à l'ONU en 1954 et saisit l'évidence de la décolonisation à la session de décembre 1956 dans laquelle la France est mise en accusation. Après avoir soutenu l'égalité entre colons et autochtones dans le statut de l'Algérie de 1947 et bataillé en vain pour que les anciens combattants indigènes soient traités comme les autres, il est persuadé que tout homme a droit à une patrie et défend l'indépendance dans l'entourage de de Gaulle dès 1957.
Au pouvoir en 1958, le ministre des anciens combattants puis Garde des Sceaux met en actes l'une de ses devises "rétablir la circulation sur les ponts coupés" en laissant fuiter, par exemple, de son cabinet des rapports comme celui de Michel Rocard. Il impose la surveillance des commissariats et protège les prisonniers. Avec l'accord du général, il entame les premières négociations secrètes avec le FLN en mai 1959. Démissionnaire à plusieurs reprises, évincé en août 1961, il n'a plus de pouvoir sur les affaires algériennes dès janvier 1961. Bien qu'affaibli physiquement, le ministre de la Fonction publique, puis de la Culture, rassemble des réseaux pour préparer et accompagner les décisions qu'il estime justes.
Michelet est un constructeur de l'Europe. Dès 1940, il refusait de parler de boches et risquait sa vie pour sauver des Allemands poursuivis par Vichy. Après la victoire, il construit l'amitié européenne à travers des réseaux qui comprennent d'anciens déportés, des démocrates-chrétiens résistants et aussi d'anciens nazis. Sa conscience de la solidarité mondiale devient responsabilité des pays développés à l'égard du tiers-monde au début des années 1960 quand il prend contact avec frère Roger à Taizé pour former des cadres du développement pour le Brésil. Ainsi ce politique, catholique affirmé, mort à la tâche par esprit de service, persuadé que tout homme peut s'amender, a cultivé le refus de la vengeance. Il a lutté pour désarmer la haine. Chrétien cohérent, il a eu conscience d'une solidarité mondiale au-delà des blocs, d'un monde à aimer et à protéger. Autant de tâches qui marquent l'essence de l'action politique au service de tous et non d'une carrière.



Nicole Lemaitre persiste dans le déni. Son exposé dure 8 minutes. Elle consacre 20 secondes au passage d'Edmond Michelet au ministère de la Justice alors que c'est bien à ce ministère que la conjugaison d'éthique et de politique est la plus cruciale dans le parcours de l'ancien déporté de Dachau.
Evidemment rien sur la peine de mort (voir les articles précédents sur le sujet). Il faut dire qu'après la prise de position du pape actuel sur cette peine, cela ferait désordre de faire l'éloge d'un Garde des Sceaux qui l'a rétablie en matière politique et a prescrit qu'elle soit requise contre des officiers généraux, dont on peut ne pas approuver les actes, mais dont tout un chacun reconnaît, cinquante ans après, que les motifs de leur action étaient l'honneur et la fidélité.
A noter, les à peu près et les confusions de l'oratrice en ce qui concerne les dates citées, ce qui est regrettable de la part d'un professeur d'Université, fut-il émérite.
Très révélateur, l'emploi du terme "le général" sans préciser lequel. Evidemment De Gaulle. Cela fait penser aux pétainistes qui utilisent aussi l'expression "le maréchal" - même admiration sans réserve pour le "grand homme".
Nicole Lemaitre écrit aussi : "Il est persuadé que tout homme a droit à une patrie et défend l'indépendance (de l'Algérie) dans l'entourage de de Gaulle dès 1957".
Peut-être Edmond Michelet la défend-il dans les banlieues de Colombey, mais en public, rappelons juste ce qu'il dit dans son discours du 14 juillet 1958  à l'Hôtel de Ville de Paris devant 6000 musulmans, anciens combattants et jeunes, venus spécialement d'Algérie : « ...dont la présence affirmait qu'il n'y avait, d'un bord à l'autre de la Méditerranée, qu'une seule France retrouvée dans l'unité, une France libre, égale et fraternelle.» N’est-ce pas un exemple-type de double langage ? Est-ce très "éthique" ?


Elle écrit également : « .. il n'a plus de pouvoir sur les affaires algériennes dès janvier 1961. » Elle tente ainsi de lui enlever toute responsabilité à partir de cette date. Cette affirmation ne repose sur rien de sérieux. De plus, la responsabilité personnelle d'Edmond Michelet, elle, persiste.

Ajoutons que, membre du cabinet Debré, il ne cesse de prendre, en sous-main, des positions opposées à celles du Premier Ministre - qui était en droit d'attendre un minimum de loyauté de son ministre - en ce qui concerne la répression des porteurs de valises remplies d'armes ou d'argent à destination du FLN, l'ouverture d'informations contre les signataires de l'Appel des 121 à l'insoumission, etc.

"Il a cultivé le refus de la vengeance". Faux ! Pour qui a suivi dans le détail sa vie politique, aussi bien sous la 4e République que sous la 5e, Michelet a en véritable exécration un certain nombre d'hommes politiques : Herriot, Queuille, Soustelle, Poher...qui ont le malheur de ne pas (ou plus) être gaullistes. Quand il demande au procureur Reliquet de requérir 20 ans de détention criminelle contre le commandant de Saint-Marc, ancien déporté de Buchenwald, cultive-t-il le refus de la vengeance contre celui qui, refusant le déshonneur de l'abandon sanglant des populations d'Algérie, s'est élevé contre la politique du "monarque" de Michelet ? Quand il stigmatise le procureur général Besson, coupable de ne pas avoir requis la peine de mort contre Challe et Zeller, et les juges, coupables d'un verdict de quinze années de détention (seulement !), est-ce par amour du prochain?

Principales références :
Besson (Antonin), Le Mythe de la Justice, p.254, Plon, 1973
Tournoux (Jean-Raymond), Jamais dit, p.258-262, Plon 1971
Valade (Jean-Michel), Du putsch des généraux en avril 1961 à Alger à la prison de Tulle, in Archives en Limousin, n°28, 2006-2, p. 61-67
- Faivre (Maurice), Conflits d'autorité durant la guerre d'Algériep. 64-71, L'Harmattan, 2004





[1] Le 25 février 1943, selon son fils Claude dans son ouvrage "Mon père, Edmond Michelet"
[2] Il est désigné le 18 juillet 1945, en tant que déporté, pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire. Il est élu député à l'Assemblée constituante, le 21 octobre 1945. 
[3] Edmond Michelet est exclu du MRP pour "gaullisme" le 19 novembre 1947. Le 24 juin 1949, il est nommé par le général de Gaulle  membre du conseil de direction du RPF.
[4] Le 18 mai 1952